Ce jeudi 15 septembre, Le Grand Mix organise avec l’Association Science et Télévision (AST) le 8e apéro Science & Web. Trois semaines avant le lancement de Pariscience - le festival international du film scientifique organisé par l’AST – nous aurons le plaisir d’accueillir deux invités de choix : Denis van Waerebeke et Blanche Guichou, respectivement réalisateur et productrice du documentaire Espèces d’espèces. Portraits croisés.
Denis van Waerebeke, le réalisateur
« J’ai d’abord voulu être astronaute, puis journaliste. Finalement, j’ai fait les Art Déco. » Voilà pour l’entrée en matière… Pour lui qui a débuté comme infographiste 3D, l’image a énormément d’importance. D’abord indépendant chez Canal +, Denis a commencé en travaillant sur des clips et des effets spéciaux avant de se mettre à la réalisation.
Avec des émissions comme L’oeil du Cyclone ou Cyberculture, il a développé ses premiers sujets dont certains en rapport avec les sciences et techniques (les jeux vidéo, l’histoire de l’ordinateur, l’Internet, etc.). Il abordera ensuite plus particulièrement ces thématiques dans Archimède, le magazine science d’Arte, en y montant notamment une rubrique « animation ».
L’histoire d’Espèces d’espèces
Tout a commencé avec La Classification phylogénétique du vivant, un livre écrit par Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader avec des illustrations de Dominique Visset. Dans ce résumé de toutes les classifications, il y trouve des descriptions de chaque groupe d’espèces, certaines pouvant être parfois très drôles.
Il décide très vite d’en faire une fiction. « Comme j’avais la possibilité d’être mis en contact avec Hervé le Guyader, j’ai commencé à réfléchir sur un documentaire sur de la classification, en particulier sur les changements apparus récemment ». Il monte un dossier avec Raphaelle Chaix, s’associe avec Vincent Gaullier (rédacteur en chef d’Archimède)… mais le projet peine à démarrer. France 5 et Arte ne se décident à le valider qu’à la faveur de l’année Darwin (en 2009).
La réalisation du documentaire
L’objectif : sortir du schéma narratif classique du documentaire (voix off et interview) et même du système « je sais, je vous dis ». « On a voulu qu’un humain raconte l’histoire, qui plus est un non-journaliste », ce qui a occasionné la méfiance de certains scientifiques… Partir de l’homme pouvait dériver vers une vision anthropocentrée.
Dès le début, la volonté de faire de l’animation a limité les tournages. Bien qu’important pour l’époque, le budget du film était très serré et les interviews se sont déroulés principalement entre Paris et Berlin. « Au niveau de l’animation, on a fait un mélange de 3D et 2D. Cela a pris beaucoup de temps et avec le recul, c’était un peu bricolé. »
« On avait une caution scientifique en la personne de Guillaume Lecointre qui validait nos choix. » Plutôt que de respecter strictement la typologie de l’arbre du vivant, il s’agissait avant tout de développer un outil représentant les différentes possibilités. Du coup, le côté puzzle du film a été compliqué à mettre en place mais très enrichissant.
Blanche Guichou, la productrice
« J’ai toujours eu envie de comprendre les choses, qu’on m’explique de façon claire ». Pour la productrice et vice-présidente de l’AST, les films autour des sciences sont primordiaux. Mais parler de sciences sans faire de dessin, c’est difficile… Il faut alors trouver un bon « metteur en images ». Faisant partie du collectif AGAT Films & Cie, elle était déjà à la production du magazine Archimède et s’est nourrie de sa collaboration avec les auteurs pour la production d’Espèces d’Espèces.
« La grande difficulté pour ce documentaire a été de convaincre les partenaires qu’on pouvait faire un film sur un sujet aussi sérieux que l’évolution, mais expliqué simplement. » En tout, il aura fallu cinq ans pour réunir tous les financements. « C’était difficile aussi parce que j’employais le mot docu-animation, qui était assez nouveau pour les chaînes. »
France 5 a suivi assez vite et l’aide du programme Média de l’Union Européenne a permis de tourner une maquette. Au final, le budget du film aura atteint 750 000 € avec 40 minutes d’animation et des interviews de chercheurs tournés dans plusieurs pays (ce qui représente 3 ans de travail !!). Un budget conséquent avec une double version à la clé : une première de 52 minutes diffusée sur France 5, une seconde (6 mois après) de 90 minutes sur la case « L’Aventure Humaine » d’Arte.
Autour du film, les bonus en DVD
Le film a d’abord été tourné avec les scientifiques et l’animation a été conçue ensuite. « C’est comme ça qu’est née la machine à trier, une formidable invention graphique qui a permis au public de comprendre et de mémoriser de façon ludique les notions de critères de sélection et de classement. »
Prolonger le film faisait également partie du projet. « À l’époque, on voulait déjà créer un site autour du film car une matière riche et importante avait été accumulée qui n’a pas pu être intégrée dans le montage » raconte Blanche. Mais c’était bien trop tôt, les chaînes n’étaient pas encore aussi actives. Quand on voit maintenant tout ce qui est mis en ligne sur les sites des chaînes autours des films, c’est vraiment dommage. Du coup, c’est la sortie en DVD qui a permis de réutiliser cette matière en bonus.
Produire un documentaire scientifique
« On doit trouver un équilibre entre ce qu’il y a à raconter et ce qu’il y a à voir.» D’où l’importance d’une forme créative et d’un discours compréhensible. Sur le web, d’autres expériences auraient surement pu être proposées qui auraient été sans doute très riches. « En cela, le webdocumentaire est un nouveau format intéressant. » Le récit n’est pas linéaire, l’approche change. Selon elle, de toute façon, l’habitude de consommation de l’image est en train de changer.
Trailer du Webdoc La Zone produit par AGAT film et Cie
Si pour « Espèces d’espèces », la difficulté était de faire passer la forme, aujourd’hui c’est au niveau du sujet que c’est délicat. En effet, selon Blanche, la science à de plus en plus de mal à exister à la TV (en dehors des documentaires animaliers ou des films traitant de l’environnement et de la santé). Pourtant, la diffusion de ce film a battu des records d’audience et il a touché des publics larges : du télévisuel aux circuits pédagogiques (de l’école primaire à l’université).
Sur les chaînes publiques, seuls Arte et France 5 en programment régulièrement. « Chez AGAT, on essaie de développer le plus possible le format webdoc mais ce n’est pas toujours évident. » Il permet une liberté de ton, de format, d’écriture… « On a presque la même liberté qu’au cinéma…mais sans l’argent.» Réaliste, elle sait que cette liberté pourrait être réduite par les contraintes d’un modèle économique qui reste à trouver. Pour le moment, c’est le territoire d’une grande créativité.